The Working Dead : Nocturnes au Bureau

The Working Dead : Nocturnes au Bureau

Un Rythme Soutenu ?

“Working in Sprints at a sustainable pace improves the Scrum Team’s focus and consistency.” Scrum Guide 2020

Pour les équipes Scrum, le travail doit être effectué à un “rythme soutenable”. Même si l’expression reste un peu vague, le sens commun l’a emporté et tout le monde a bien compris que par rythme soutenable, le Guide Scrum suggère une cadence de travail régulière et raisonnable sans heures supplémentaires, sans pics d’activité tardifs et répétés…sans excès donc. Comme le soulignait avec une certaine philosophie un de mes chargés de cours en développement web, le but du développeur n’est pas de passer ses nuits au bureau, c’est de terminer son travail dans un temps record pour pouvoir aller boire des bières avec ses potes. Ce qui fait écho à une vieille citation :

“In 1947, automobile executive Clarence Bleicher testified before the Senate that one should “put a lazy man on it” to make a difficult job easier.”

Que je traduirais par :

“Vous devriez mettre des fainéants sur les jobs difficiles, car ils sont experts dans l’art de trouver des solutions simples.” Rien d’autre qu’un appel à travailler plus intelligemment. Le conseil est valable pour n’importe qui, développeurs, directeurs, managers, balayeurs, ingénieurs et j’en passe.

Les Zombies du Bureau

Il m’est arrivé plusieurs fois par le passé, lors de mes premiers postes de graphiste 3D, de travailler n’importe comment. Le rythme y était soutenu (comprendre régulier dans ce cas) mais les horaires délirants se soldaient parfois par des nuits blanches et des hamburgers de chez McDo, ce qui n’arrangeait ni ma silhouette, ni ma santé mentale. J’avais même un patron qui dormait à son bureau dans son sac de couchage…Était-il très productif d’après-vous ? Ses clients lui mettaient-ils des grandes claques dans le dos pour le féliciter de sa réactivité ? Pas dans mon souvenir…En général il disparaissait toute l’après-midi suivante pour aller dormir chez lui…Les quelques heures prétendument gagnées la veille finissaient aspirées dans le trou noir du lendemain.

Les Racines du Mal

J’ai donc pu expérimenter directement les effets néfastes de ces pratiques, mais sans aller jusqu’à la vision de cauchemar que je viens de décrire, je constate que beaucoup de personnes y sont encore attachées. Il suffit de se promener après 19h dans les couloirs de nombre d’organisations pour le constater. Qu’est-ce qui fait que certains restent travailler tard après les autres ? Voici quelques raisons :

  • Vos heures supplémentaires sont payées. Ca ressemble à une bonne raison. Dans ce cas, la compensation immédiate que vous en tirez est très concrète. Il est délicat de discuter ce point surtout par ces temps difficiles et pourtant, les inconvénients à long terme peuvent très largement écraser vos bénéfices à court terme. Qui plus est, toutes les organisations ne sont pas ravies d’avoir à payer régulièrement tous ces dépassements.
  • Vous avez décidé de vous singulariser, de démontrer votre infaillible engagement envers l’organisation devant vos responsables, vous gagnerez votre place comme employé du mois, c’est sûr ! Les américains appellent cette attitude “virtue signaling”. Classique chez les politiciens et personnages publics, ce phénomène imprègne de plus en plus les autres couches de la société : on appelle ça chez nous la “vertu ostentatoire”, autrement dit “l’expression publique d’un jugement moral dont le but est de soigner sa réputation”. Une attitude qui ne vous apportera en général rien de bon. Même si vous impressionnez un manager de la vieille école, certains collègues, eux, pourraient voir cela d’un mauvais œil.
  • Vous vous adaptez mal à un nouveau poste. Vous décidez donc de faire du “rattrapage” le soir. Parce que vous vous sentez coupable, parce que vous voulez bien faire, ou encore pour prouver que “vous vous donnez à fond” (ce qui nous renvoie en partie au point précédent). C’est une situation anormale qui devrait soulever pas mal de questions, notamment celle de votre accompagnement et de votre accueil (ou “onboarding” comme on dit bêtement aujourd’hui).
  • Vous savourez la tranquillité qui règne en soirée. Finis les sonneries de téléphones incessantes, les éclats de certains collègues, les interruptions, les réunions inutiles, l’agitation…Il est beaucoup plus facile de vous concentrer voire d’échanger avec certains collègues encore présents. Votre productivité semble décuplée, vous faites en une heure des tâches qui vous en prennent habituellement quatre, du moins le pensez-vous…Les bénéfices ont l’air évidents. Mais ce besoin d’étendre vos horaires ne cache-t-il pas un problème d’organisation plus profond ? Et quelle est la nature des tâches effectuées ? Sont-elles vraiment utiles ?

La Vraie Facture

Tous ces points peuvent sembler parfaitement valables. Mais qu’en est-il du prix final à payer ?

  • Vous mettez votre santé physique en danger. Une étude du European Heart Journal (2010) a conclu que les personnes qui travaillaient trois heures ou plus au delà d’une journées de 7 heures augmentaient de 60% leurs risques d’avoir des problèmes cardiaques (maladies cardiaques, attaques non-fatales, angines) comparé aux autres. Difficile d’être productif une fois qu’on est à l’hôpital.
  • Vous faites courir des risques importants à votre santé mentale. Ce qui vous pend au bout du nez : stress, dépression, burn-out, insomnie, augmentation de la consommation d’alcool etc. Un certain nombre d’études démontrent que travailler plus de 40 heures par semaine est lié à une augmentation de la consommation d’alcool et de tabac. Ces méthodes de travail entraînent aussi un gain de poids conséquent chez les hommes et des épisodes de dépression chez les femmes
  • Vous détruisez votre équilibre personnel. Plus de temps au travail, c’est moins de temps pour vous et vos activités (hobbies, passions, sport etc.), moins de temps pour vos amis et votre famille…autant de sources de support émotionnel qui disparaissent d’un seul coup.
  • Vous n’êtes au final pas plus productif que les autres. La [Loi de Parkinson (1955)](https://www.helloworkplace.fr/loi-parkinson/#:~:text=Développée par Cyril Northcote Parkinson,temps qui lui est imparti.), basée sur l’étude du travail dans les administrations britanniques nous dit que tout travail finit par occuper (en durée) le temps qui lui est imparti. Ce qui veut dire que si vous vous donnez une semaine pour faire un travail, il prendra une semaine. Si vous vous donnez deux semaines pour faire le même job, il en prendra deux. Vous avez donc intérêt à vous fixer des dates butoir raisonnables et réalistes (cf les objectifs S.M.A.R.T. chers à l’Agilité).

En résumé, rester tard le soir, ou vouloir l’imposer à d’autres est totalement contre productif. Cette habitude ne sert ni vos intérêts, ni ceux de votre employeur. Et sans surprise, ce n’est pas Agile. Du coup, que fait-on en agilité ?

La Voie Agile

En Scrum, si l’équipe n’atteint pas ses objectifs au terme du Sprint, dont la durée reste inchangée, elle remet les tâches non terminées dans le backlog. Elles sont réévaluées au début du Sprint suivant et réintégrées à la liste des choses à faire si elles sont jugées comme étant toujours pertinentes. Ce processus est parfaitement applicable au niveau individuel. Si vous n’avez pas fait ce que vous souhaitiez faire le jour même, reportez votre excédent de travail au lendemain.

Interrogez vous sur votre organisation, vos outils, votre efficacité. Pourquoi n’avez vous pas eu le temps de faire ce que vous vouliez ? C’est le genre de questions que l’on se pose en Scrum au niveau de l’équipe lors des Rétrospectives.

D’une manière générale, en agilité, nous sommes à la recherche de la production de valeur. Les priorités sont la qualité de ce qui est produit et la satisfaction des utilisateurs (et par extension celle des stakeholders dans leur ensemble). La quantité importe peu. Plutôt que d’étendre les horaires le soir, on cherchera à comprendre pourquoi certains ont ce genre d’idée saugrenue et à trouver des solutions adaptées au problème.

On sait par exemple qu’en Scrum, lorsque l’équipe accueille de nouveaux arrivants cela induit un coût de productivité à court terme. C’est normal, car ils ont besoin d’un temps d’adaptation à leur nouveau travail, aux habitudes de l’équipe, à celles de l’organisation etc. Aucun Scrum Master sensé ne les laissera traîner le soir au prétexte qu’ils doivent se mettre à niveau. Ils seront plutôt accompagnés en journée par des membres de l’équipe chevronnés, qui les aideront à prendre le rythme. Tout cela demande bon sens et patience.

Dans les équipes Scrum, il n’y a pas de favoritisme. Les membres des équipes Scrum, qu’ils soient Lead Développeurs, Designers, Testeurs, Dresseurs de Marmottes ou Champions de Claquettes sont tous logés à la même enseigne. Ils ont le statut de “développeur” (en plus du Scrum Master et du Product Owner) et c’est l’équipe dans son ensemble qui est considérée.

L’agilité, c’est aussi savoir vous ménager, travailler selon des horaires réguliers, être efficace et vous interroger régulièrement sur ce que vous faites afin d’optimiser vos méthodes de travail…Pour pouvoir aller boire des bières avec vos potes.

A bientôt !

Published by Norman Rosenstech

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